Comment passer le cap pour sortir son art de l’atelier ?
Je ne pense pas m’avancer en vous annonçant que nous ne vivons pas la meilleure année pour montrer son art. Pour certains d’entre nous, il est déjà – en temps normal – compliqué de passer le seuil de la porte et d’afficher son travail en dehors des murs confortables de l’antre créateur. Ce temps suspendu pourrait ainsi servir presque d’excuse pour rester caché derrière ses toiles ou ses sculptures.
Il m’a fallu longtemps pour accrocher mes toiles sur des murs qui n’étaient pas les miens.
La peur étant souvent sclérosante, elle incite plus à ne pas bouger et attendre qu’à avancer vers l’inconnu.
Nous sommes tous habités plus ou moins par le besoin de contrôle. Or, ne pas savoir ce qui peut découler d’une rencontre avec un public, quoi de plus déstabilisant ?
Des questions tourbillonnent :
- Vais-je me rendre compte que mon travail n’est pas de qualité ?
- Y a-t-il un public pour mon art ? Et sera-t-il au rendez-vous ?
- Comment réagir face à la critique ? Et dois-je la prendre en compte ?
- Vais-je réussir à vendre mes œuvres et à m’en séparer ?
- Si je montre mon art, combien de temps cela va-t-il prendre pour que j’en vive ?
- Vais-je être découvert et devenir Picasso en un claquement de doigts ?
Je vais commencer par la fin : la probabilité qu’on vous « découvre » sans sortir de votre atelier est quasi nulle, pour ne pas dire impossible. Combien de talents sont restés cachés et inconnus car ils attendaient qu’on vienne les chercher ?
Personne ne viendra frapper à votre porte spontanément et, c’est cruel, mais personne ne vous attend pour révolutionner l’art.
Regardez bien autour de vous : on connaît tous quelqu’un persuadé d’être un champion dans sa discipline – artistique ou non – et qui ne comprend pas pourquoi personne ne l’a compris. L’alchimie subtile entre ego et humilité – et non pas dénigrement du soi – est toujours difficile à trouver mais nécessaire pour avancer sereinement.
Reprenons au début :
Vais-je me rendre compte que mon travail n’est pas de qualité ?
C’est une possibilité et il faut l’accepter. Cette étape n’arrivera d’ailleurs pas vraiment pendant un vernissage mais plutôt en amont, quand vous chercherez un endroit où exposer. Nous avons tous essuyé des refus ou même l’absence de toute réponse – et qui « malheureusement » ne veulent pas systématiquement dire que votre travail n’est pas de qualité l’art étant, par principe, subjectif.
D’ailleurs, qu’est-ce que cela veut dire « de qualité » ?
Que mettons-nous derrière ce mot ?
Qu’est-ce qui fait qu’une œuvre est de qualité quand une autre ne l’est pas ?
C’est certainement un subtil mélange entre technique, sensibilité et équilibre. La technique ne fait pas tout mais il me semble qu’elle reste indispensable et qu’il faut la travailler encore et toujours.
Y a-t-il un public pour mon art ? Et sera-t-il au rendez-vous ?
Vous ne le saurez qu’en étant visible et en vous exposant.
Un public, cela se construit par la rencontre entre vous, vos tableaux et lui. Certaines rencontres prennent du temps quand d’autres sont immédiates.
Les belles histoires, en revanche, se fabriquent et s’entretiennent. Et étant une éternelle optimiste, il y aura toujours un public pour votre art. Il faut juste mettre son chapeau, prendre son lasso et prendre le risque de partir à l’aventure, comme Indiana Jones. Qui sait, vous trouverez peut-être le Graal ?
Comment réagir face à la critique ? Et dois-je la prendre en compte ?
Il y a critique et critique. La malveillance doit toujours être ignorée bien que je suis consciente que sur 100 commentaires, s’il y a 99 positifs et 1 négatif, nous aurons toujours tendance à retenir le négatif.
Personnellement, j’ai que très peu d’intérêt pour la critique sur mon travail artistique car je garde toujours en tête que l’art est subjectif. Je suis plus intéressée par le ressenti du regardeur que par l’avis d’un expert de l’art.
Quand on observe les ravages que les critiques peuvent faire sur des professionnels – par exemple en cuisine – je crois qu’il faut s’en détacher et s’en protéger.
Un regard flatteur sur son travail est toujours bon à prendre mais il me semble qu’il ne faut jamais oublier que la subjectivité fluctue en fonction de l’état émotionnel et l’histoire de celui ou celle qui regarde.
Vais-je réussir à vendre mes tableaux et à m’en séparer ?
C’est la grande différence entre être amateur et être professionnel.
Si vous n’êtes pas prêt à vendre, c’est que vous n’êtes pas en accord avec votre projet. Il ne faut pas se leurrer. Nous ne vivons pas d’amour et d’eau fraîche – même si beaucoup aimerait que l’artiste travaille gratuitement pour l’amour de l’art et non pas pour payer son loyer, ses factures et l’occasionnel saucisson.
Ce qui est formidable – et parfois une malédiction – avec ce métier, c’est qu’au début, nous avons toutes les casquettes : attaché de communication, comptable, graphiste, webmaster, etc. et commercial. Je vous avoue que ce n’est pas ma casquette préférée, c’est même la plus désagréable à mon sens mais aussi la plus nécessaire. Il faut beaucoup de motivation, de l’acharnement et un esprit optimiste pour ne pas se ratatiner face au désintérêt de certains regardeurs. Mais rien ne vaut la joie de voir son tableau continuer sa vie dans un autre lieu que son atelier… et de pouvoir s’acheter son fameux saucisson.
Si je montre mon art, combien de temps cela va-t-il prendre pour que j’en vive ?
Il n’y a de réponse unique. Pour une entreprise classique, on entend toujours 3 ans. Il faut en tout cas savoir rester patient et ne pas baisser les bras. Et faites fi de l’ami soi-disant bienveillant qui s’amuse toujours à dire que « tu seras connu.e après ta mort, comme Van Gogh. »
Heureusement qu’on ne finit pas tous par se tirer une balle, le monde serait bien triste sans les artistes pour parler de leur art.
Je ne vous le cache pas, les temps sont durs pour la culture et l’art. Mais 2020 nous permet d’être imaginatif et de trouver plein de nouveaux moyens pour montrer son art.
Le champ des possibles n’est pas en train de se réduire mais au contraire, de s’élargir. Accompagnons le changement, aussi pénible soit-il et innovons pour sortir de nos ateliers ou y faire – pourquoi pas – entrer les regardeurs…
Marlène
A propos de l’autrice de cet article
Marlène Diard est artiste plasticienne, elle fait partie du Duo artistique Aartemis. Fascinée par l’humain sous toutes ses coutures, elle met à nu le corps, le portrait et l’abstrait. L’émotion vécue par le modèle ou par l’artiste se doit de transparaitre à chaque instant, par la matière, la couleur, le coup de crayon. Anthropologue de formation, l’Homme a toujours été au cœur des préoccupations et des questionnements de Marlène. L’expression, la matière et la dualité permanente de l’être humain sont au cœur de sa recherche artistique.
Aartemis est composé de Marlène et Héloïse, deux femmes qui travaillent leurs œuvres à quatre mains. Les tableaux d’Aartemis invoquent une véritable essence du féminin et s’inspirent des émotions engendrées par le corps et la matière.
A suivre sur
aartemis.fr – Instagram @aartemisartworks – Podcast Aartemission/Youtube