Pour créer, il est nécessaire de croiser les connaissances et les inspirations. Co-créer à 4 mains, produire une oeuvre représentative de 2 artistes, un phénomène (pas si récent que ça) qui met en lumière la nécessité d’ouverture et surtout le partage d’expériences. J’aime l’idée !
Dans un monde qui pousse à nous diviser, il est bon de voir que des artistes se rassemblent et cherchent à se connecter pour créer et se sentir bien.
Il y a quelques semaines de cela, j’ai publié une annonce sur différents groupes Facebook. Je cherchais des duos d’artistes pour rédiger une interview collective. Cette annonce a reçu un très bel accueil. Merci à tous pour vos retours chaleureux.
A l’origine, je pensais publier simplement un article regroupant plusieurs duos. Finalement je change ma programmation et propose ainsi de découvrir sur le Mag’, tous les 15 jours ou 3 semaines, un duo inspiré et inspirant.
Matière, mouvement, femme, émotions, les filles d’Aartemis nous ouvrent le bal !
Interview d’AARTEMIS
1/ Pourriez-vous brièvement vous présenter ?
Marlène : L’art a toujours été un fil conducteur fort dans tout mon parcours scolaire et professionnel. Néanmoins, je n’ai pas une formation universitaire d’art. J’ai fait un conservatoire d’art près de Paris durant mon enfance pendant quelques années où j’ai appris les techniques de base de dessin et de peinture qui me servent encore aujourd’hui, puis pendant 3 ans au Etats-Unis, j’ai continué mon apprentissage avec environ 7h d’art par semaine.
En rentrant en France, j’ai fait des cours du soir aux Beaux-Arts. Pourtant, je suis titulaire d’un master de recherche en anthropologie sociale et culturelle dans lequel je me suis spécialisée sur les émotions. Cette recherche anthropologique me sert encore aujourd’hui dans mon travail de plasticienne, car je travaille principalement autour du portrait et de la couleur, pour transmettre mes propres émotions, celle de mon modèle et nos émotions imbriquées, mélangées.
Quand j’ai rencontré Héloïse, il y a un peu plus d’un an, j’ai d’abord fait son portrait puis nous nous sommes lentement dirigées vers le mélange de nos techniques très différentes mais complémentaires de nos émotions, fortes et encore plus puissantes à deux. Notre travail tourne autour de la puissance féminine, de la réappropriation du corps féminin dans l’espace et du positionnement de la femme dans l’histoire de l’art.
Héloïse : J’ai toujours été une artiste un peu polymorphe. Happée par la photographie, le numérique puis l’argentique, le dessin, la matière… Mon leitmotiv est la notion de métissage : deux mondes qui se rencontrent et qui en créent un nouveau. Finalement j’ai toujours tendu vers une rencontre matérielle et physique avec un autre artiste !
Une de mes thématiques de mémoire (aux Beaux-Arts) étaient les mondes/strates intérieur(e)s en chaque personne (ce qui nous définit et qui est impalpable : rêves, souvenirs, personnalité etc.) ; Marlène travaille sur l’humain également et sur cet impalpable qu’est l’émotion. C’est ce lien inconscient qui nous uni finalement.
Nous travaillons ensemble depuis 7 mois. C’est tout jeune mais notre entité nouvelle (pourquoi pas dire identité d’ailleurs ?) Aartemis est en perpétuel mouvement ! Expérimentations, idées, envies nous traversent et ne demandent qu’à sortir de nos mains ! Nous sommes en train de nous construire ou de grandir, de nous modeler en quelque sorte.
2/ Comment se déroule le processus créatif d’une œuvre ?
Héloïse : Je trouve qu’il y a quelque chose de mystérieux dans un processus créatif. Ce quelque chose qui fait qu’il y a émulsion. Pour nous la communication pendant l’acte de création est rare, elle est instinctive. Il nous arrive de commencer l’une et l’autre sur quelque chose de différent ou encore de commencer en même temps. Mais il y a toujours ce besoin de donner à l’autre le travail en cours pour explorer encore plus loin ce que nous même nous ne voyons pas.
La ligne est le commun de nos travaux individuels, elle se retrouve dans la matière, la couleur, les corps, les visages… Nos univers s‘emmêlent, je dirai pour en créer un nouveau, le « qui fait quoi » n’existe plus ; sinon nous ne ferions pas un duo !
Marlène : La recette est un peu tenue secrète. Nous travaillons beaucoup sans communication non-verbale, dans une communion silencieuse. Nous nous regardons beaucoup, nous observons l’autre, son geste, son trait. Nous respectons ce que l’autre fait en se donnant le droit de l’altérer, voir de le détruire pour le faire ressortir d’une autre manière. Nous sommes très connectées l’une à l’autre. En dehors de la création, nous communiquons beaucoup ensemble et nous réfléchissons à deux sur les après, sans tabou.
3/ Quels sont les avantages de travailler à 2 ?
Marlène : Le travail d’artiste est un travail assez solitaire dans la création, mais surtout dans les démarches administratives, les expositions, la communication, le « marketing », les « non » reçus. À deux, tout devient plus simple, nous nous soutenons et les coups durs sont abordés avec plus de joie que de peine. Quand l’une est plus affectée, l’autre remet de l’optimisme.
Héloïse : L’énergie, la dynamique, la complémentarité des situations et des ressentis, les relations aux autres (nous avons toutes les deux des caractères d’oratrices différents), compléter la pensée, la création, les idées. Sentir que l’on avance quoi qu’il arrive ! C’est le perpétuel qui manque lorsqu’on est seul… De pouvoir se confier et se réconforter aussi.
4/ Vous arrive-t-il de séparer les taches au cours de votre activité artistique ?
Héloïse : Nous les séparons sans le vouloir : car nous avons aussi deux vies (famille, boulot, couple etc.). Ce qui crée une nouvelle organisation où chacune prend ce que l’autre ne peut pas faire pour le moment (ou avec ses compétences !). Mais de manière générale nous essayons de faire le maximum à deux : car c’est notre bébé après tout !
Les œuvres sont stockées chez Marlène, car nous avons un espace atelier chez elle, la communication est complémentaire : Marlène poste, je crée quelques associations d’images, nous nous prenons en photo ensemble, nous réfléchissons ensemble etc.
Marlène : Pour toutes les décisions concernant Aartemis, nous les prenons à deux. Quand l’une ne peut pas faire quelque chose par manque de temps ou liée à son autre activité professionnelle, l’autre prend le relais. Tout est très équilibré. Pour le stockage des œuvres et du matériel, il se fait principalement dans mon atelier car j’ai la chance d’avoir la place et un lieu dédié à mon/notre travail.
5/Etes-vous entièrement consacrées aux œuvres en duo ou continuez-vous en parallèle à créer en solo?
Marlène : Nous travaillons pour Aartemis qui devient de plus en plus une entité où se développe nos travaux communs mais également nos travaux personnels. Nous nous nourrissons artistiquement ensemble.
Héloïse : Nous sommes entièrement consacrés à notre duo et aussi de manière individuelle ! Car nos travaux individuels viennent nourrir notre création commune, il est important de comprendre et analyser nos processus d’antan pour les incorporer à Aartemis.
Personnellement je ne crée plus seule (travail en parallèle) mais je sais que Marlène a besoin de cette expression au quotidien : c’est fantastique lorsqu’on se retrouve de découvrir les idées ou l’amorce d’un travail fait par l’une de nous !
6/ Quel conseil donneriez-vous à 2 personnes qui souhaitent lancer leur duo d’artistes ?
Héloïse : Les erreurs à éviter : se mettre tout de suite d’accord sur le discours à tenir, ne pas avoir peur du regard du public et bien anticiper leurs questions. Ne pas hésiter à s’affirmer en tant que duo et non en tant que 2 personnes distinctes.
Les bons plans : ne pas hésiter à exploiter au maximum des compétences de chacun pour pouvoir se propulser ! Ne pas hésiter non plus à aller voir les autres artistes etc. Lorsque l’occasion se dessine. ET surtout mettre en commun son carnet d’adresses !
Marlène : Egos démesurés s’abstenir ! Déjà, il faut admirer et aimer ce que fait sa moitié professionnelle. Notre travail se base sur le postulat que l’artiste en face de soi à une puissance à elle et que cette puissance et ce talent ne peuvent qu’apporter encore plus de force à son travail. Il faut accepter de lâcher prise, faire confiance à l’autre, faire confiance à son geste et son imaginaire. Nous ne voyons pas nos travaux commun comme Héloïse + Marlène mais comme un travail unique, une création unique, d’où la naissance d’Aartemis.
7/ Si on vous donne une baguette magique utilisable uniquement pour votre duo. Que feriez-vous avec ?
Marlène : Ouvrir un lieu fabuleux, entre galerie et école d’art, où nous pourrions expérimenter et aller encore plus loin dans notre recherche artistique. Transmettre aussi aux gamins mais aussi aux adultes. Remettre la culture et l’art au cœur d’une ville. Nous pensons que l’Art permet de donner de la confiance en soi – que ce soit en tant que modèle ou créateur – de réinsérer des personnes en perte de repère dans la société. Et montrer notre travail à l’étranger.
Héloïse : Ohlala que c’est vaste. J’adorerai un projet collectif qui parle de la femme (thème de prédilection pour Aartemis) : pourquoi pas interdisciplinaire ! Avec des anthropologues, artistes, écrivains, acteurs sociaux, médecins, conférenciers et que cela puisse aboutir à un décloisonnement des différentes catégories (un médecin et un artiste peuvent-ils travailler ensemble ? Oui !). Différents univers qui se rencontrent quoi !
8/ Quelles sont vos actualités en duo pour 2019 ?
Aartemis : Pour 2019 nous avons différentes expositions qui se profilent : Moulin de Cézanne au Tholonet et Galerie 361 à Aix-en-Provence. Nous avons aussi pour projet de postuler à la chapelle des pénitents bleus à la Ciotat et faire un travail in situ… Certainement à Marseille et peut-être en Martinique dans le second semestre 2019. Et d’autres projets que nous sommes en train de mettre en place. Le plus magique serait d’aller à l’étranger. A suivre !